Test The Evil Within (2014) : 10 ans plus tard, la réhabilitation ?
Le 14 octobre 2014 sortait sur l’ensemble des consoles de la génération d’alors The Evil Within. Particulièrement attendu du fait de la présence de Shinji Mikami (Papa de Resident Evil) à la réalisation, ce premier volet développé par Tango Gameworks était parvenu à se vendre à 4 millions d’exemplaires. Loin des standards de Resident Evil, mais suffisant pour légitimer une suite qui sortira en 2017. Celle-ci n’atteindra malheureusement que le 1/4 des ventes du premier jeu… La fermeture du studio Tango Gameworks en mai 2024 (depuis racheté en août par le groupe sud-coréen Krafton) n’a clairement pas éclairci l’avenir de cette série vidéoludique.
Il faut dire que ce premier volet aura reçu une réception mitigée des joueurs, ayant peut-être impacté négativement les ventes du second. On observe ainsi une note globale juste en-dessous de 7 sur Senscritique, tandis qu’il ne dépasse pas 16/20 sur Jeuxvideo.com. Deux notes loin d’être déshonorantes, mais démontrant une déception de certains joueurs. Histoire capillotractée, gameplay lourd et vieillot, ou encore bandes noires selon certains illégitime… font partie des reproches les plus couramment lus. Qu’en est-il plus de 10 ans après la sortie du jeu ?
Test réalisé sur PS5 avec le jeu PS4 en mode Cauchemar
Un bonheur de naïveté vidéoludique
L’utilisation du mot « naïveté » peut sembler incongrue pour évoquer un jeu comme The Evil Within. Animations gores, pièges impitoyables, direction artistique torturée… sont en effet de la partie pour proposer un titre particulièrement dérangeant. Pourtant, on retrouve bien une certaine naïveté, ou du moins simplicité dans plusieurs mécaniques du jeu.
Entre ces leviers à activer faisant tomber des pics d’on ne sait où sans aucune justification autre que de pouvoir tuer des ennemis, ces bidons rouges placés comme par hasard juste à côté des monstres, ou encore ce système d’amélioration du personnage simplissime (consistant uniquement à ramasser un étrange gel vert à dépenser via une machine électrique encore plus inquiétante), The Evil Within a sans doute dénoté avec cette période où le jeu vidéo commençait à s’affirmer comme un médium « réaliste » et mature, faisant la chasse aux incohérences, proposant des mécaniques complexes, et où presque rien n’est laissé au hasard.
Grand n’importe quoi justifié
The Evil Within a recours à la solution narrative la plus pratique qui soit pour justifier un peu et tout n’importe quoi. Ses personnages, dont le protagoniste Sebastian Castellanos, sont en effet piégés dans le STEM, une machine destinée à connecter les cerveaux humains dont l’utilisation aura des effets plus que délétères…
La machine ayant été investie par un surnommé Ruvik (Ruben Victoriano de son vrai nom) particulièrement torturé, ce dernier fait voyager ses pauvres hôtes à travers sa psyché dérangée et ses divers traumatismes. C’est ainsi que notre ami Sebastian sera bourlingué à travers une forêt lugubre, un village inquiétant (clairement inspiré de Resident Evil 4), un manoir (clairement inspiré de Resident Evil 1), une église, ou encore… un parking (???), la plupart de ces niveaux ayant un sens narratif plus ou moins évident. Etant donné que nous sommes dans l’esprit d’un personnage torturé, tout peut se passer. L’occasion pour l’équipe dirigée par Shinji Mikami de proposer un large éventail de situations horrifiques.
La règle du jeu
Le titre de Tango Gameworks, à l’image de Resident Evil 4 dirigé par le même Mikami, s’assume pleinement comme un jeu vidéo. Il a ainsi recours à des règles d’équilibrage n’ayant aucun sens d’un point de vue logique.
Des haches vous permettent de tuer un ennemi d’un coup ? Elles se casseront comme des brindilles après une seule utilisation. Les ennemis sont sensibles au feu ? Vous ne trouverez aucun lance-flamme et les allumettes ne pourront être utilisées que si le monstre est à terre. Votre personnage dispose d’un couteau permettant de tuer discrètement les monstres d’un seul coup par derrière ? Celui-ci ne pourra pas être utilisé au corps à corps. Échapper aux monstres en courant serait un peu trop facile ? Votre personnage asthmatique est parvenu à devenir policier on ne sait pas trop comment. Sebastian s’essoufflera lamentablement après quelques secondes de (légère) course, le laissant à la merci des monstres (bon, ici, c’est peut-être un peu exagéré…).
Le jeu se définit selon Larousse comme une « activité de loisir soumise à des règles conventionnelles ». Loin de se soucier d’une quelconque logique ou réalisme, The Evil Within met le plaisir du joueur au cœur de son expérience. A une époque où certains jeux complexifient leurs mécaniques, revenir à un plaisir simple et purement ludique s’avère aujourd’hui particulièrement plaisant.
La mort aux trousses
Ces règles pourront chagriner les joueurs accordant une importance à l’impact de la température sur les testicules des chevaux de Red Dead Redemption 2. Mais ces règles restent finalement parfaitement logiques pour maintenir le joueur sous pression et l’obliger à utiliser l’environnement à son avantage. Car il s’agit d’un domaine dans lequel The Evil Within excelle.
Il existe en effet de nombreuses solutions pour utiliser au mieux la moindre balle ou allumette (l’arme la plus puissante du jeu contre les monstres « lambdas » !). Cela donne un jeu où la mort est courante, mais rarement exagérément punitive, la faute incombant le plus souvent au joueur. Seuls les affrontements contre un boss récurrent pourront susciter un certain agacement légitime…
Le concept de décision y est particulièrement important. Faut t-il mieux d’abord tuer cet ennemi ou un autre ? Comment utiliser les différents pièges présents contre les monstres ? On pourrait presque apparenter The Evil Within à un jeu de puzzle. Chaque salle d’affrontement comporte ses spécificités, risques et opportunités que le joueur devra maîtriser pour survivre.
La réalisation de Shinji Mikami se distingue surtout de par sa capacité à ne jamais mettre le joueur deux fois dans une même situation. Nouveaux pièges, nouveaux ennemis, nouvelles configurations de salles… Malgré sa durée de vie généreuse (au moins 15 heures), The Evil Within parvient à ne jamais se répéter, accentuant la tension sur le joueur qui ne sait jamais ce qui l’attend passée la prochaine porte.
Action et ambiance
La filiation avec Resident Evil 4 est évidente sur le gameplay orienté action. The Evil Within parvient toutefois à avoir son identité. Il la doit à cette direction artistique qui assume totalement son goût pour le sordide et le gore. Celle-ci contraste parfaitement avec le choix de la composition « Clair de lune » de Claude Debussy, toujours accueillie dans un sentiment d’apaisement. Plusieurs niveaux, tels que celui du manoir marqué par les apparitions de Ruvik ou encore celui de l’hôtel restent dans la mémoire.
D’autres chapitres du jeu sont bien entendu plus oubliables. Les derniers niveaux prenant une ambiance post-apocalyptique semblent trop calqués sur The Last of Us, sorti plus d’un an plus tôt. D’autres s’éloignent trop du registre horrifique et apparaissent donc assez génériques.
Au-delà de la direction artistique, le joueur est aussi régulièrement troublé par plusieurs décisions malines. Le hub central du jeu, investi par une mystérieuse infirmière, apparaît comme un lieu sûr. Cependant, il s’y produira aussi quelques événements peu rassurants… Sebastian accède à ce hub par l’intermédiaire de miroirs (lire l’article sur le miroir dans le survival-horror), mais n’y apparaîtra jamais au même endroit, créant une sensation de trouble. Sans être particulièrement complexe, l’histoire sombre de Sebastian Castellanos (qui sera davantage développée dans The Evil Within 2) participe aussi à créer cette ambiance dérangeante.
Conclusion sur The Evil Within
Note :
Résumé : The Evil Within n'a clairement pas renouvelé le genre horrifique comme certains semblaient l'attendre. Il n'en demeure pas moins un titre généreux et sans fioritures au rythme effréné. Malgré quelques chapitres en-deçà, la réalisation de Tango Gameworks propose aussi des séquences fortes qui restent en mémoire.