Test rétro : The Last of Us (2013)
10 ans après sa sortie, force est de constater que The Last of Us a durablement marqué l’industrie vidéoludique. Cela s’explique entre autres par sa narration, mais aussi ses prouesses techniques. Quelles sont les qualités du titre de Naughty Dog à avoir résisté à l’épreuve du temps ? Au contraire, quels sont les défauts notables des aventures de Joël et Ellie ? Cet anniversaire donne l’occasion de faire le point.
Ce test contient des spoilers ! Si vous ne connaissez pas l’histoire principale de The Last of Us (issue du jeu ou de la série), il est donc recommandé de ne pas le lire.
Une introduction au panthéon du jeu vidéo ?
Au cinéma comme dans le jeu vidéo, on dit souvent que les premiers instants sont décisifs dans l’appréciation d’un titre. Conscients de cela, Neil Druckmann et Bruce Straley proposent une entrée en la matière saisissante. Le joueur est plongé dès les premières minutes de gameplay dans la panique pré-apocalyptique, et ses conséquences directes dramatiques pour le personnage de Sarah. Faire mourir le premier protagoniste à être contrôlé par le joueur demeure une idée impactante. C’est en effet avec ce premier personnage jouable que l’on ressent de l’empathie.
Dès les premières minutes, on perçoit déjà l’intérêt de Naughty Dog pour la narration environnementale. Une étude de la chambre de Sarah montre le lien fort qui l’unit à son paternel. On y perçoit aussi ses principaux centres d’intérêt, qui contribuent à humaniser la fille de Joel.
Le départ en voiture constitue aussi un moment fort de l’introduction de The Last of Us. Il est en effet possible de se déplacer à l’arrière du véhicule, mais aussi d’observer les environs et de constater le déploiement de l’apocalypse suite à la pandémie. Le chaos apparaît de plus en plus visible, jusqu’au dénouement tragique amorçant le début du jeu.
Coup de mou post-introduction
Malheureusement, on ne peut pas dire que The Last of Us brille lors du premier chapitre succédant à l’introduction. Cette dernière vise essentiellement à présenter les grandes lignes de gameplay du jeu. On y rencontre les premiers infectés, ainsi que des humains ennemis. Le joueur comprend rapidement l’intérêt d’avoir recours à l’infiltration et à l’élimination furtive.
Le problème demeure dans ce faux rythme qui dure une bonne heure. On apprend certes comment la vie se déroule dans une zone de quarantaine, mais cela reste maigre. En termes d’ambiance et de direction artistique, les quais parcourus par Joel et Tess sont particulièrement quelconques. On y découvre aussi l’un des principaux défauts du titre, l’intelligence artificielle faiblarde des ennemis. Les déplacements de ces derniers apparaissent par ailleurs plus mécaniques que logiques. La fonction de ces antagonistes semble se réduire uniquement à empêcher Joel et Tess de progresser dans le niveau.
En termes d’enjeu, cette histoire de trafic d’armes autour du personnage de Robert est peu captivante. Cet arc a d’ailleurs été rapidement balayé dans la série HBO. The Last of Us prend réellement son envol après que le joueur a fait la rencontre d’Ellie.
Un remake plus approfondi aurait grandement gagné à réécrire ou approfondir cette séquence… On imagine cependant bien que le travail n’en valait pas vraiment la chandelle pour Naughty Dog. Le studio a davantage compté sur la notoriété acquise suite à la série et les améliorations en termes de performances et d’intelligence artificielle pour vendre son The Last of Us: Part I. D’un point de vue strictement vidéoludique, cette séquence ressemble cependant à un petit trou d’air.
A l’assaut du cinéma ?
The Last of Us justifie heureusement par la suite sa réputation. Là où le titre de Naughty Dog excelle, c’est surtout dans sa capacité à proposer des scènes qui accrochent le joueur à sa manette comme le spectateur à son siège dans une salle de cinéma. Passé ce tutoriel un peu mou, les enjeux se font bien plus concrets et entraînants. La séquence où le joueur doit échapper aux patrouilles au cours d’une excursion nocturne est l’un des premiers passages fortement marquants passée l’introduction.
La visite d’un immeuble sur le point de s’effondrer et rempli d’infectés venant juste après constitue le premier pic de difficulté notable. C’est aussi l’une des premières photos post-apocalyptiques fortes du jeu. La vue de ces deux tours sur le point de s’effondrer au milieu des voitures abandonnées et de la végétation abondante marque particulièrement l’imaginaire. Naughty Dog s’est inspiré de l’essai Homo Disparitus (Alan Weisman) pour donner vie à ses décors. Cet écrit imagine les conséquences d’une disparition brutale de l’être humain sur l’écosystème et l’environnement de la planète Terre. Est notamment évoqué le temps qu’il serait nécessaire pour que les édifices construits par l’homme finissent par s’abîmer, puis s’effondrer faute d’entretien.
The Last of Us enchaîne par la suite des séquences qui marqueront la grande majorité de ses joueurs. La chute de Joel dans l’ascenseur, le contraignant à trouver une solution pour rejoindre Ellie est sans doute le passage se rapprochant le plus du genre du survival-horror. Impossible aussi de ne pas penser au dernier chapitre de la saison de l’automne. La vision d’Ellie soutenant un Joel à l’abdomen transpercé est toujours aussi saisissante 10 ans plus tard. L’influence de ICO, le jeu de Fumito Ueda, est complètement assumée par Neil Druckmann et Bruce Straley. C’est lors de cette séquence (entre autres), qu’elle semble la plus évidente.
Un regret ? Que la blessure de Joel soit légèrement (pléonasme) trop grave pour justifier une guérison aussi facile… Un point qui a aussi été corrigé en partie par la série HBO.
Le passage de l’hiver constitue le grand moment du jeu. Les liens filiaux de substitution qui unissent les deux personnages sont alors à leur apogée. L’alternance des points de vue, alimentant le sentiment d’urgence et de danger, fonctionne parfaitement. Le final de la saison culmine d’ailleurs vers un déchainement de violence qui ne sera pas sans conséquence pour la santé mentale d’Ellie.
Un final inoubliable
Impossible également d’évoquer The Last of Us sans parler de sa conclusion. On pouvait qualifier celle-ci d’ouverte jusqu’à l’annonce de sa suite fin 2016. Il n’en sera rien, Neil Druckmann choisissant d’explorer une voie encore plus sombre, de façon particulièrement osée (et réussie). Le ressenti lors de cet ultime dialogue accompagné par les notes de Gustavo Santolalla reste dans les mémoires de nombreux joueurs bien des années après, à l’image d’un grand film vu en salle qui parvient à marquer ses spectateurs.
Certains auraient d’ailleurs apprécié que l’histoire de Joel et Ellie se termine ici. La transition narrative vers le second épisode par l’intermédiaire de la mort d’un PNJ alors anonyme est particulièrement intéressante. Elle montre notamment que Naughty Dog est capable de penser les PNJ tuables autrement que comme de la pure chair à canon. On pourra cependant arguer qu’il s’agit d’une exception compte tenu du grand nombre de macchabés laissés sur le chemin de Joel et Ellie. Encore une fois, il est intéressant de constater que l’adaptation télévisuelle diminue assez nettement le nombre d’humains tués par nos anti-héros.
Infectés, humains, infectés, humains…
C’est un reproche que l’on lit assez rarement au sujet de The Last of Us, mais qui me semble pourtant justifié. L’enchaînement d’affrontements contre des humains puis des infectés, puis de nouveau contre des humains et ainsi de suite ne semble vraiment pas naturel. On a clairement l’impression que le titre force l’alternance entre ces affrontements. L’objectif était sans doute de varier au maximum les situations. Le procédé apparaît cependant peu subtil.
The Last of Us: Part II a su gommer ce défaut. Les séquences contre les humains ou infectés sont en effet plus longues. On a ainsi moins la sensation de passer de l’un à l’autre sans réelle logique. Certaines séquences permettent également de se faire confronter humains et infectés. Un élément qui a d’ailleurs été expérimenté dans le DLC Left Behind.
10 ans après, que reste t-il de The Last of Us ?
Les défauts de The Last of Us apparaissent de façon plus évidente qu’il y a 10 ans. L’intelligence artificielle (retravaillée dans le cadre du « remake » Part I) est notamment un peu faiblarde, surtout en comparaison du second opus. Reparcourir les aventures de Joel et Ellie met aussi en lumière d’autres points faibles, comme ce coup de mou passé l’introduction (brillante) du jeu.
Mais The Last of Us ne doit pas son statut de jeu culte au hasard. Il a clairement contribué à rapprocher le jeu vidéo du cinéma en termes d’implication émotionnelle. Si certaines mauvaises langues parlent de « film interactif » mettant en cause son gameplay classique (mais qui n’en reste pas moins très efficace), il n’en demeure pas moins que le titre aura marqué une génération entière de joueurs. Reste à savoir quand la conclusion définitive de cette histoire post-apocalyptique nous sera délivrée.