Sweet Home de Kiyoshi Kurosawa (1989) : les premiers contours du survival-horror ?

Troisième long-métrage réalisé par Kiyoshi Kurosawa, Sweet Home (1989) a eu un rôle important dans l’histoire du survival-horror. Ce film d’horreur a en effet été adapté dans un jeu au même nom, sorti sur Super NES la même année. Sweet Home (le jeu vidéo), précurseur du jeu vidéo horrifique, aura quant à lui servi à son tour de modèle pour le tout premier Resident Evil. Le jeune Shinji Mikami chargé de ce dernier titre devait d’ailleurs au départ en faire un remake exploitant davantage les avancées technologiques d’alors.

Si il a bien repris l’idée de base de Sweet Home (des personnages coincés dans un manoir lugubre), et certains principes de gameplay, Resident Evil 1 a finalement suivi son propre chemin. Le jeu fut le premier d’une longue lignée, la licence devenant un véritable porte-étendard du genre. Près de 35 ans plus tard, que retenir du film de Kiyoshi Kurosawa, sans qui le survival-horror n’aurait peut-être pas le même visage ?

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L’affiche du film ©TOHO

Sweet Home est un film particulièrement étrange. Ses premières minutes mettent en scène un directeur d’une équipe de tournage cherchant à convaincre un employé de lui transmettre les clés du manoir Mamiya, à la réputation morbide. Après être parvenu à ses fins, il rejoint d’autres personnages qui l’accompagnent, des membres de l’équipe du tournage, mais aussi sa fille. Quelle meilleure idée en effet que de visiter une demeure prétendument hantée avec sa progéniture ?

Une entrée en matière étonnante

Si Sweet Home est étonnant, c’est d’abord par sa musique. Alors que la belle équipe se dirige donc vers le fameux manoir, on entend en effet une mélodie pas désagréable, mais plutôt guillerette. Cette dernière évoque davantage un J-RPG bon enfant qu’une situation où des protagonistes s’approcheraient d’un lieu hanté. A d’autres moments, on entend aussi une composition plutôt sentimentaliste lorsque plusieurs personnages échangent autour de leurs situations personnelles. Maladresse ou volonté de rendre le basculement vers l’horreur d’autant plus brutal ? Dans tous les cas, on peut avoir l’étrange sensation d’entendre une musique complètement hors de propos.

Cette sensation d’inapproprié vaut également pour les premières scènes passées dans le manoir. Ces dernières sont en effet souvent saupoudrées d’un humour potache tout aussi étonnant que la musique précédemment évoquée. D’autant plus qu’à côté, Sweet Home sait proposer une photographie plutôt soignée qui suscite l’inquiétude. Ce plan sur le landeau lorsque l’un des personnages cherche à entrer dans le manoir est par exemple particulièrement réussi.

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Un autre plan montre la voiture des protagonistes s’approchant du manoir. Celui-ci donne l’impression qu’un personnage non-identifié épie le groupe. L’effet potentiellement horrifique (bien que classique) est cependant désamorcé par cette même ritournelle insouciante évoquée plus haut. Comme si le film souhaitait éviter d’être effrayant, du moins dans un premier temps.

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L’arrivée au manoir ©TOHO

Si mêler humour et horreur premier degré peut parfois être pertinent (Scream le prouvera quelques années plus tard), on a ici l’impression que le film ne sait pas trop sur quel pied danser. Alors que le thème du manoir hanté est pourtant particulièrement premier degré, cela semble d’autant plus étonnant.

L’armée des ombres

Le genre horrifique prend réellement le dessus au bout de 30, voire 40 minutes de film. Sweet Home met en scène l’opposition entre ombre et lumière, qui, bien que classique, s’avère bien exploitée. Un personnage ira ainsi jusqu’à clamer que « Les ombres sont vivantes ». Une idée effrayante s’il en est, et disposant également d’un certain potentiel vidéoludique régulièrement utilisé. Dans le film, ce thème donne lieu à une scène particulièrement réussie mettant joliment la Lune en valeur. L’idée des ténèbres menaçantes pour les personnages a par exemple été utilisée dans le jeu indépendant Tormented Souls sorti en 2021. Rester trop longtemps dans le noir mènera en effet la protagoniste à la mort.

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©TOHO

Entre-temps, le film use d’effets spéciaux certes datés, mais disposant d’un joli charme 80’s. On pourra regretter que la sombre histoire du manoir Mamiya soit sans doute trop explicitée. Celle-ci est par ailleurs racontée par un personnage surgissant un peu au milieu de nulle part (même si il aura été aperçu auparavant). Laisser plus de place au mystère et au symbolique aurait pu donner davantage de force au récit. On pourra noter également un affrontement aux allures de boss final. La protagoniste finissant par utiliser l’objet approprié face au fantôme de Lady Mamiya pourra aussi renvoyer au domaine du vidéoludique.

Conclusion sur Sweet Home

Sweet Home démarre avec un mélange de style que l’on pourra considérer comme étonnant voire maladroit. Par la suite, on retrouve un film de maison hantée assez classique mais disposant d’idées de réalisation intéressantes. De quoi susciter l’intérêt de curieux amateurs du genre ou historiens du jeu vidéo. Il ne fait pas de doutes que le survival-horror aurait fini par émerger quoi qu’il en soit. Cette réalisation de Kiyoshi Kurosawa en a cependant sans doute dessiné les premiers contours. Il semble reconnu que Resident Evil a utilisé le jeu Sweet Home comme référence. Alone in the Dark dont le remake est attendu pour fin 2023 ou début 2024) a cependant aussi grandement influencé Shinji Mikami, surtout du point de vue de la réalisation.

Le réalisateur de Cure n’avait à l’époque pas pu avoir le dernier mot sur le montage de Sweet Home. Le producteur Juzo Itami, insatisfait du rendu final, aurait notamment tourné de nouvelles scènes. Une différence de perception entre les deux hommes qui pourrait expliquer en partie le fait que le film (surtout au début) ne sache pas trop sur quel pied danser. Aujourd’hui, le montage version Kiyoshi Kurosawa n’est pas visible et doit dormir quelque part dans les locaux de la maison de production TOHO.

Martin Karpinski

Trop trouillard pour jouer aux survival-horrors jusqu'à mes 18 ans. En 2008, Dead Space fut ma première porte d'entrée vers cet univers. J'ai depuis rattrapé mon retard, tant au niveau des classiques (Resident Evil, Silent Hill...) que des jeux indépendants. Si il me reste encore des lacunes, j'ai cependant créé ce site pour partager ma passion du survival-horror et certaines de mes réflexions. J'écris également pour le webzine Journal du Japon.

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